Corado and Rizzato Farm - Zucchinis, Button Squash, Planting, Wedding

Mon 1er jour chez Corado, je m'en souviendrais toute ma vie tellement ça m'a traumatisé. Pour commencer, levée 3H30 ! Le réveil pique un peu. Il fait encore nuit dehors (pour une fois), on prend notre petit-déj en vitesse et on va au travail, curieux de savoir ce qui nous attend. Arrivé à la ferme, on tombe sur une équipe de 20 personnes. Il y a une dizaine d'allemands, 3 italiennes, un couple d'anglais, un américain et nous. L'ambiance est bonne mais ils ont l'air bien fatigués quand même. Corado nous prête des uniformes, une paire de gants et un couteau. Il met du scotch sur nos poignets pour faire tenir nos manches car les feuilles des courgettes ont tendance à irriter la peau.

C'est parti pour une journée dans les zucchinis. On monte à l'arrière d'un vieux pick-up qui nous emmène au champ situé 2 km plus loin. "Voici le meilleur moment de la journée, profites" me dit Manou d'un air blasé. Super, ça annonce la couleur. En tout cas le trajet est super sympa. On profite du levée de soleil et du vent matinal qui caresse notre peau. On plaisante de la situation car on a l'impression d'être dans un car de migrants, entassé à 20 sur à peine 3m² dans le pick-up. Puis le moteur s'arrête. Et là, c'est le drame : un champ de zucchinis énorme se dresse devant nous. Tout le monde descend du camion et se met au travail. Corado nous explique à peine ce qu'il faut faire "Ok voici ton couteau, tu fouilles dans la plante, tu coupes le zucchini à son extrémité. Il faut qu'il fasse la taille du couteau. Voici ta row." Tchao bonsoir, le fermier est déjà parti. "Faut faire quoi ?" demande Vincent qui peine encore à comprendre l'anglais "Heu.. faut couper les zucchinis. Fais comme les autres". A voir sa tête, je voyais bien que je ne l'avais pas plus avancé sur ce qu'il fallait faire. Mais pas le temps de parler, faut y aller car le harvest est derrière nous pour nous mettre la pression.



En quoi consiste le travail finalement ?

Nous avons chacun une row (allée) dans laquelle nous devons cueillir les courgettes. Les courgettes sont cachés sous les feuilles ou les branches des plantes qui arrivent jusqu'au bassin pour les plus grandes. Il faut donc se courber, fouiller la plante, mesurer le zucchini avec son couteau et le couper si il est assez grand. Dès que tu as fini, tu passes à la plante suivante. Félicitations, tu viens de faire 50 cm ! Plus que 150 mètres avant de finir ta row, courage ! Sachant qu'en plus de ça, il y a le harvest juste derrière toi qui n'hésite pas à te percuter gentiment. En général, quand ça arrive, cela veut dire "Eh l'ami, t'es le dernier donc bouge-toi un peu car t'es trop lent." Le travail est juste interminable et douloureux pour le dos car on est penché pendant 6H-7H voir plus si affinités. Au bout de 2H30, première pause. J'ai le dos en compote, j'en peux plus, j'ai l'impression d'être un papy de 80 ans. Je commence à interroger les autres employés :
"C'est toujours comme ça les journées ? 
- Oui oui. Au début tu as mal au dos, c'est normal. Mais au bout d'un moment tu ne sens plus rien (sûrement parce que ton dos est déjà cassé).
- Ok, merci du conseil. Tu avais mal au dos au début ?
- Oui, mais le plus dur c'est le 1er jour ! Après ça ira mieux"


Le break dure 15 minutes. C’est trop peu pour soulager mon dos. C’est reparti pour 2H30 de zucchinis zucchinis zucchinis… Pour tout arranger, j’ai la pire rangée possible car je suis sur la row 1 côté conducteur, ce qui signifie que Corado peut voir tout ce que je fais et repérer les zucchinis que j’oublie. Un zucchini oublié, c’est un zucchini qui ne sera plus bon à cueillir le lendemain car il sera trop gros, donc une perte de bénéfice pour le fermier. Le harvest peut couvrir 12 rows, 6 de chaque côté. Autant dire que plus vous êtes éloignés, mieux c’est car le patron ne voit pas ce que vous faites.

Bref, j’essaye de faire de mon mieux malgré la pression de la machine qui m’oblige à aller toujours plus vite. Sauf qu’au final je fais n’importe quoi et ça Corado l’a bien vu. Des zucchinis oubliés, des branches. Je reçois des remarques toutes les 10 minutes. Au bout d’un moment, le boss est à bout. Il descend carrément du harvest et vient me voir « Regarde ce que tu fais. Je ne te paye pas pour faire ça ! Tu viens de faire plus de dégâts en une journée que le reste des employés en 1 semaine ! » Douche froide… Je finis la journée dans la difficulté en me disant que je vais galérer un moment. Heureusement Vincent se débrouille bien mieux que moi. Retour à l’entrepôt à 14H où on dépose nos affaires. Corado nous convoque pour un debrief. Pour Vincent c’est bon, il se débrouille pas trop mal. Par contre pour moi, c’est la catastrophe ! Il me laisse une dernière chance demain. Si je ne suis pas assez bon, je serais viré.

On rentre au caravan park l’air bredouille. Il faut tout de même que j’assure car ce job nous permettrait de gagner de l’argent jusqu’à Noël, ce qui serait parfait pour nos plans. Je parle avec Félix, un allemand qui a déjà travaillé chez Corado : « C’est rare qui laisse une deuxième chance. Normalement il vire dès le 1er jour quand ça ne lui convient pas. Mais il te surveille beaucoup, plus qu’il ne fait d’habitude, c’est étrange. » Tant pis, il faut que je donne le meilleur de moi-même pour ne pas avoir de regrets.

Le lendemain, même rituel. Levée 3H30 et direction la ferme à 5H. Cette fois-ci, Corado ne conduit pas le harvest. C’est Lina, sa belle-fille, qui sera avec nous. Le rythme devient beaucoup plus cool. En plus elle ne fait aucune remarque, j’ai l’impression qu’elle s’ennuie autant que nous. L’équipe nous motive et nous dit de nous accrocher. Fin de journée, pas de remarque de Corado. On signe les papiers et on part l’esprit tranquille, épuisé par cette journée. Demain, c’est dimanche, nous sommes en day off. On va pouvoir se reposer avant d’attaquer une semaine de 6 jours de travail non-stop.

Les jours passent et on commence à s’acclimater au travail de la ferme. L’ambiance est bonne mais la tâche est épuisante. Il nous est arrivé de travailler 12H en une journée. On est arrivé avec le lever de soleil et on est parti du travail avec le coucher de soleil. L’organisme est mis à rude épreuve. Je vois bien que tout le monde est fatigué. Mais forcément on est tous tenu à la carotte car on fait des heures et on est bien payé. On voit régulièrement des nouvelles têtes dans l’équipe. On se rend compte qu’on est pas logé à la même enseigne. Les nouveaux ne sont pas persécutés comme je le suis. Tous les jours j’ai le droit à une remarque du boss. Forcément moins je le vois, mieux je me porte. Quand Lina conduit le harvest, j’en fais le moins possible pour sauver mon dos.

 


 

Voici maintenant 3 semaines que nous travaillons chez Corado. Je commence à en avoir ras la casquette de me lever à 3H30 du mat. On se couche à 21H tous les soirs et on a à peine le temps de récupérer de la journée d’hier. L’idée de quitter la ferme me vient de plus en plus. J’en fais part à Vincent, l’idée ne l’emballe pas vraiment car ça veut dire qu’il faudra de nouveau chercher une ferme et malheureusement celles qui payent à l’heure sont rares.

La journée s’annonce difficile aujourd’hui. Il fait chaud et Corado est de mauvais poil. Il ne me laisse pas une seconde de répit. « Valentin, zucchini ! » Le boss inspecte tout ce que je fais et m’arrête tous les deux mètres, parfois à tort pour me faire ramasser des zucchinis trop petit. A la fin de journée je suis épuisé. J’ai juste envie de dormir. Lina me demande de l’aider à porter un carton de courgettes. Par manque de lucidité, il me glisse des mains. Je me retrouve comme un con avec une trentaine de courgettes au sol. Lina est en train de péter un câble, elle ramasse les zucchinis endommagés et les met à la
poubelle. Elle court chercher le patron pour lui raconter ma boulette. Ce sera celle de trop… Le lendemain en arrivant à la ferme à 5H, Corado m’explique que
c’est terminé pour moi, je suis officiellement viré.  Il appelle également Vincent « Bon Vincent, j’ai aucun problème avec toi, tu travailles bien mais on a trop de monde dans la ferme. Désolé » D’une pierre deux coups, on se retrouve sur la paille. Vincent est dégoûté car la raison de son exclusion est juste bidon. Je culpabilise car je sais que c’est de ma faute.

Au final, on est tout de même soulagé car on en pouvait plus de ce rythme infernal. D’autant plus que Corado n’hésitait pas à nous gratter du temps. Le trajet entre l’entrepôt et le champ n’était pas payé, les breaks non plus… Bref, tu passais 10H dans la ferme mais t’étais payé seulement 8H. Avec le recul, je me demande même si Corado n’avait pas une dent contre les français car nous étions les seuls du groupe et il n’y avait que nous qui étions surveillés. On aura tout de même tenu 16 jours, ce qui n’est pas si mal pour quelqu’un qui devait être viré dès son premier jour. Le compte en banque aussi est heureux. Au total nous avons gagné autour de 2600 $ chacun sans les taxes. Cette expérience aura tout même été positive pour la suite des événements car on a compris que l’argent ne tombait pas du ciel en Australie. Le travail était tout de même difficile et on a eu le mérite de ne pas abandonner.

Je me souviendrais toujours de cette équipe solidaire avec qui on a travaillé, notamment Félix, un allemand qui a décidé de quitter son quotidien pour voyager. Il ne souhaite plus revenir en Allemagne. Il ira au Canada après son voyage en Australie. On a bien déconné pendant les pauses, d'autant plus qu'il connaissait quelques mots en français (enfin surtout des grossièretés).

Je me souviendrais aussi de Konstantine, un allemand grand et fin qui n'a pas l'air dynamique au premier abord. C'est pourtant lui qui allait le plus vite, une vraie machine ! Corado le chargeait d'aider les derniers. Il passait donc de row en row pour te donner un coup de main. Là, t'étais heureux car tu gagnais 20 mètres en 10 secondes.

Bref, à la recherche d’un nouveau job, on va à l’agence d’intérim raconter notre exploit. Ils se moquent littéralement de nous et nous rient au nez. « Ok, on va vous trouver un job plus FA-CILE dans ce cas » ironise la secrétaire qu’on avait juste envie de gifler. Heureusement, elle fait bien son travail. Le soir même, elle nous trouve un job beaucoup plus simple payé à l’heure dans le « Apple Thinning ».

C’est parti pour un nouveau job, le 4ème en 1 mois et demi !