Après une première journée de cerises qui ne s’est pas passé comme prévu, je sens que Vincent est déjà au bout du rouleau. Il râle, se plaint du travail, de son dos. En retournant au campement, il prend un ton sérieux : Gauch’, il faut qu’on parle”. Il n’a pas l’air dans son assiette. Je m’asseois pour écouter son discours : J’ai pris ma décision, je pars demain. Je n’aime pas cette ferme. Il n’y a rien à faire, on ne gagne pas d’argent. En plus on n’a même pas de quoi cuisiner ! J’ai besoin de confort et j’ai envie de me faire des sous… Puis Céline me manque. J’ai déjà pris mon billet pour le ferry donc je ne changerais pas d’avis. Je retourne à Stanthorpe.” Je suis bouche bée. Certes on n’a pas fait beaucoup de sous pour notre premier jour mais il ne faut pas baisser les bras, on va s’améliorer. Mais je n’essaye pas de le convaincre. L’attitude défaitiste de Vincent montre qu’il a perdu tout espoir de persévérer. Je finis par compatir : Très bien, si tu penses que c’est le meilleur choix à faire pour toi, fais-le.” La discussion s’arrête là. Théo ne comprend pas sa décision, pourquoi s’enterrer à Stanthorpe alors qu’on y est déjà resté 2 mois ? Peu importe, il ne souhaite pas s’en mêler. Vincent prépare sa valise. Je vois le van se vider peu à peu. Cela me fait de la peine de le voir partir, il a l’air malheureux. J’ai l’impression de perdre une partie de moi. Depuis le début on a tout fait ensemble. On a vécu des moments difficiles mais aussi des bons fous rires et des aventures extraordinaires. Désormais, ce ne sera plus jamais pareil. C’est la fin d’une aventure. J’étais déterminé à finir ce voyage ensemble mais c’est le genre d’évènement qui arrive souvent en voyage. Les gens se rencontrent, se séparent, se retrouvent et prennent un autre chemin. Il faut faire preuve d’empathie : quand on voyage pour la première fois à l’autre bout du monde dans un pays où on ne maîtrise pas la langue et qu’on a jamais eu l’occasion de vivre en autonomie auparavant, il faut du temps pour s’adapter. Peut-être que Vincent venait d’atteindre ses limites. Je me rappelais une fois lorsqu’on se baladait à Port Macquarie et qu’il me disait “Je ne sais pas comment tu fais. J’ai l’impression que toi, à partir du momento où tu as à manger et un toit, tu es heureux. Tu te contentes de peu. Moi je ne pourrais pas. Il me faut au moins une douche, un accès Internet… le strict minimum quoi !”. Cette citation prend tout son sens maintenant. Le lendemain, nous allons travailler sans Vincent. En revenant de notre journée, je le vois prêt à partir avec toutes ses affaires en main. Je ne me sens pas super bien à ce moment là. Il fait ses adieux à Théo. Direction Devonport. Je l’emmène au ferry avec le van qui est désormais à moitié vide. J’ai la gorge nouée. Je peux sentir l’émotion qu’il ressent, à la fois rassuré de retrouver un “chez soi” et de revoir ses amis, mais aussi la tristesse de nous abandonner et la peur de l’inconnu. On arrive au port de Devonport. On peut apercevoir le bateau au loin qui navigue dans notre direction. Je fais mes “au revoir” à Vincent : “T’inquiètes pas, on se retrouve à Melbourne, c’est juste le temps d’un mois” me dit-il convaincu. Néanmoins quelque chose me dit qu’on ne se reverra pas. Si il part pour revoir sa copine, c’est qu’il est amoureux. Je sais par experience que par amour, on a vite tendance à privilégier sa moitié que ses amis. Tant mieux pour lui, désormais je suis seul et j’ai la liberté d’aller où je veux, quand je veux et avec qui je veux. Je retourne à la ferme, seul dans le van, le coeur lourd rempli d’émotion. Je suis triste que Vincent soit parti et je peux déjà sentir le vide en moi. Je mets un peu de musique africaine pour remonter le moral et j’essaye de voir le positif car il y a du positif ! C’est un nouveau départ, une nouvelle aventure qui commence, faite de liberté et d’opportunités. C’est l’occasion de me surpasser, de prendre des risques, tenter de nouvelles expériences, faire de nouvelles rencontres et améliorer mon anglais. Je me sens plein d’énergie, hâte de d’entamer ce nouveau périple qui m’attend. J’arrive au campement dans la soirée. Théo m’a concocté un bon repas à base de noodles (la base pour un backpacker). Je descends du van pour le rejoindre. Il voit mon visage illuminé par mes pensées :
  • Bah dis donc, t’as pas l’air si triste que ça finalement !
  • Je le suis, mais il faut savoir passer à autre chose et regarder vers l’avant. Lui dis-je en souriant.
  • Tss.. quel beau parleur celui-là ! Dépêche-toi de manger, ça va refroidir.”