Tasmanie – On se refait la cerise (ou pas) Nous sommes le 9 Janvier, 9H00. Nous posons enfin le pied en Tasmanie après avoir effectué un trajet de neuf heures en bateau. L’île semble bien différente du Mainland. Le paysage est plus vert, les villes ont un côté plus européen et la terre est moins sèche. D’ailleurs, la region possède de nombreuses fermes laitières. Saviez-vous qu’il y a plus de vaches que d’habitants ? Oui oui, comme en Mayenne ! Finalement je ne vais pas être si dépaysé que cela. Dès notre arrivée, on s’active pour trouver une ferme. Direction Mc Donald pour avoir du Wi-Fi. On postule aux offres de job qui nous intéressent sur Gumtree, en particulier les cerises car beaucoup de backpackers disent que le picking y est simple et pas très fatiguant. Il est même possible de faire des journées à 200$ ou plus malgré qu’on soit débutant. En épluchant les announces, on trouve des offres dans les pommes, les patates… mais pas de cerises ? Si ! En voilà une qui recherche des pickers dans l’immédiat mais l’annonce date de 2 semaines. J’envoie un mail sans grand espoir, sait-on jamais. 2 heures plus tard, la ferme nous contacte pour commencer dès le lendemain. Coup de chance ou annonce foireuse ? Le meilleur moyen est de s’y rendre pour en savoir plus. La ferme est située à Sidmouth, au nord de la Tasmanie, au-dessus de Launceston. Il nous faut seulement 1H30 pour y aller. On découvre sur la route les jolies plaines tasmaniennes, le prix de l’essence qui augmente (1,22$ le litre pour 1,10 dans le Queensland) avant d’arriver sur une route poussièreuse où nous apercevons le panneau “Top Qual”. C’est le nom de la ferme qui nous a contacté. Elle possède un camping où nous pouvons dormir pour 3$ la nuit. En soit, c’est juste un terrain d’herbe avec quelques arbres pour poser sa tente à l’ombre. Il y a également 2 douches (pour 30 personnes), une machine à laver et un container aménagé à l’arrache en salon mais franchement je ne mettrais pas un pied dedans tellement c’est glock. Les conditions de vie dot donc assez… primaires. La seule prise éléctrique est dans la salle de bain. Tous les backpackeurs branchent leurs portables dessus. On dirait un peu un traffic avec tous ces fils et ces téléphones qui sont connectés à la même prise. Nous sommes accueillis par Phil, un vieux fermier maigrichon qui tient à peine sur ses jambes. Il nous fait visiter le camping et nous indique que nous pouvons nous installer où nous voulons puisqu’il n’y a pas d’emplacements numérotés. On se pose en plein milieu du camp, pas super niveau intimité mais c’est le seul coin d’ombre qui reste, Nous sommes une trentaine sur le campement. La majorité des campeurs sont francais ou canadiens, Il y a tout de même quelques italiens, chiliens et allemands mais j’entends beaucoup parler francais dans le camp. Ce n’est pas comme cela que je vais m’améliorer en anglais, Tant pis, on installe les chaises et les tables et on se fait un petit repas en attendant la journée de demain. Le lendemain matin, on attaque notre première journée dans les cerises. Levée à 5h00 du matin pour aller remplir le contrat. On remarque que des nouveaux voisins se sont instalés pendant la nuit pour poser leurs tentes. C’est leur premier jour pour eux aussi. Après avoir rempli tous les papiers, on attaque directement le picking.Nous sommes au total une centaine de pickers dans la ferme séparés en plusieurs niveaux : les bons pickers, les pickers moyens et les pickers débutants. Nous faisons partis du dernier groupe étant donné que nous n’avons pas d’expérience dans les cerises. Petite initiation de 5 minutes pour nous montrer comment picker les cerises, différencier les bonnes des mauvaises puis on nous lâche dans les rows. Nous devons remplir des lugs de 9 kilos. Chaque lug vaut 8$. Elles tiennent devant nous grâce à des bretelles, ce qui nous permet d’avoir les mains libres. Une fois que nous avons gentiment rempli notre lug, nous devons la donner au superviseur et lui montrer un papier qu’il utilize pour compter nos lugs. Ce moment est le plus stressant car les superviseurs sont très stricts. Parfois ils vous disent de faire demi-tour car ils jugent que votre lug n’est pas assez pleine. Ils leur arrivent aussi de mettre votre lug de côté afin qu’elle passe au QC (Quality Control). Votre lug est donc examinée par une femme qui va compter le nombre de cerises défectueuses. Et si vous en avez, voilà ce qui se passe :
  • Moins de 10 cerises pourries : tout va bien, vous êtes tranquille.
  • Entre 10 et 15 : vous avez un “warning”
  • Plus de 25 : on vous retire une demi-lug

Sachant qu’au bout de 2 demi-lugs ou 3 warnings, vous êtes virés pour le reste de la journée. Vous avez alors une dernière chance de faire vos preuves avant de quitter définitivement la ferme. Il faut savoir que vous avez environ 900 à 1100 cerises dans une lug, cela vous laisse une marge d’erreur d’1%. Vous imaginez ?! Cela signifie que sur 100 cerises récoltés, si vous en avez plus de 1 qui est pourrie, vous avez une demi-lug qui saute ! Ce système est très contraignant car il nous oblige à perdre du temps pour bien regarder les cerises. Plus de temps à verifier ­= moins de temps pour picker = moins d’argent. Au bout de 8H de travail (de 6H à 14H), la journée se termine et les scores ne volent pas haut : Théo et moi avons fait 12 lugs, Vincent en a fait 10, ce qui fait respectivement 96 et 80$, pas énorme et loin des prévisions aue nous avions entendu. On rentre bredouille au camping. Je me renseigne auprès des autres pour savoir ce qu’il en est. Ils me disent que 12 lugs c’est pas si mal pour un premier jour et que je vais forcément faire mieux. La plupart des débutants tournent entre 16 et 20 lugs par jour. Les pickers plus confirmés font 25-30 lugs, c’est déjà plus intéressant. Le recordman de la ferme est un canadien. Il s’appelle Etienne. Les canadiens sont réputés pour être bon au picking de cerises car ils en font déjà chez eux et viennent en Tasmanie seulement pour la saison. Etienne fait parti de ceux-là. C’est sa huitième saison dans les cerises. Il effectue entre 35 et 40 lugs par jour, soit 300$ ! Pour lui, Top Qual est une ferme assez stricte qui check beaucoup la qualité des cerises. Pourquoi ? Parce qu’ils ne trient pas les cerises dans l’usine. Une fois qu’elles sont récoltées, elles sont mise en vente directement. Cela leur évite de payer des employés, d’acquérir des machines et de gagner du temps. Ainsi ils réalisent un maximum d’économies et c’est nous, les pickers, qui trinqont car nous devons faire un deux travaux en un : cueillir et trier. Je me rends compte qu’on est donc mal tomber. Le canadien me donne malgré tout quelques conseils : “Quand tu pickes, c’est comme un robinet qui coule, il faut toujours aller au même rythme et ne jamais s’arrêter”. Plus facile à dire qu’à faire mais on verra bien.           
  • Je retourne sur le campement, optimiste et motivé pour la journée de demain. C’est alors que je vais apprendre une nouvelle tragique qui va complètement changer le reste de mon aventure puisque Vincent a décidé de faire ses valises pour changer de cap (plus d’infos sur l’article Le départ de Vincent). Je me retrouve désormais seul avec le van.             
Le 2ème jour s’annonce mieux pour Théo et moi. On commence à prendre le rythme. La competition fait rage dans les rows. Chacun privatise son arbre et chercher à prendre celui qui a les plus belles cerises. Il y a aussi des gens plus malins qui ne notent pas leur matricule sur les arbres afin de prendre que les cerises accessibles en bas de l’arbre. Grâce à cette technique, ils laissent le haut de l’arbre pour les autres et passent directement à un autre arbre, ce qui permet de gagner un temps fou car pour atteindre les cerises les plus hautes, il faut tirer la branche vers soi, la plier et la mettre sous son bras. Ce n’est pas pratique et très physique. Mettre son matricule sur un arbre est plutôt contraignant car tu dois cueillir toutes les cerises avant de pouvoir passer à un autre poste. Si tu ne fais pas ton travail correctement, le superviseur n’hésitera pas à venir te chercher pour que tu retournes finir ce que tu as commencé. En plus de ça, ils ne sont pas fins, surtout quand ils t’appellent par ton matricule. Ah.. le matricule ! Ce numéro qu’on te donne le premier jour et que tu garderas à vie. Rien de mieux pour rabaisser la dignité humaine. J’ai hérité du numéro 134. Jamais on ne m’appellera par mon prénom mais j’aurais le droit à “Numéro 134, une demi-lug en moins” ou “Numéro 134, un warning !” Super l’ambiance dans les cerises ! On dirait des robots réduits à être appelé par leur numéro. Malgré ça, on parvient à améliorer nos scores ! Je finis à 17 lugs et Théo à 15. On rentre au campement se faire à manger car on ne prend pas de pauses pendant les horaires de boulot. L’avantage de finir à 14H, c’est qu’on a toute l’après-midi pour soi. C’est l’occasion de se reposer, faire une sieste, siroter une bière ou faire connaissance avec les autres pickers. Une après-midi type se décomposait scomme ceci :
  • Préparation du repas
  • Repas
  • Moment de repos (surfer sur Internet, sieste)
  • Aller faire les courses si besoin
  • Passer du bon temps avec nos voisins Louis, Thomas et Robin
  • Faire un foot en fin d’après-midi
  • Courir à la douche en premier avant que tous les footeux la prennent
  • Repas du soir
  • Dodo
J’ai vraiment apprécié les aprem que j’ai passé dans cette ferme. Il faisait souvent beau et chaud, on se prélassait sur nos chaises de camping à l’ancienne. Je me souviendrais toujours de nos voisins, Louis, Robin et Thomas. Ces trois français voyagent ensemble. Louis et Robin se connaissaient déjà auparavant. Ils viennent de Menton, près de Nice. Ils ont travaillé plusieurs saisons à Monaco. J’ai bien aimé discuter avec eux car ils nous racontaient ce qu’ils avaient vécu dans la principauté : le niveau de vie élevé, les salaires, les lois fiscales qui different, la vie nocturne et les prix exhorbitants des boissons ou des entrées en boîte. Le plus drôle reste les anecdotes qui nous racontaient sur la clientèle chic de Monaco. Louis travaillait dans la restauration et Robin dans la vente. Ils ont eu affaire à beaucoup de situations originales comme les milliardaires russes qui viennent directement voir les vendeurs en disant “Je souhaite acheter l’article le plus cher que vous avez dans ce magasin” ou certains clients italiens radins qui veulent dénicher la meilleure affaire. Un jour, Robin était à la caisse lorsque l’un d’eux est arrivé :
  • Vous faites une réduction sur ce caramel ?
  • Sur un caramel à 2 euros ? Non je ne penses pas Monsieur. répond sèchement Robin qui n’a pas apprécié le manque de politesse du client
  • Même pas 20% ?
  • Non je suis désolé Monsieur. Nous ne faisons pas de réduction sur ce genre d’articles.
  • Alors vous ne méritez pas que je l’achète.” Et le client mangea le caramel devant Robin avant de partir du magasin.
Voilà le genre de personnes qu’ils rencontraient tous les jours. “L’argent rend con.” disait Robin. C’est d’ailleurs pour cela que les deux garcons sont partis en Australie, envie de voir autre chose et vivre dans un nouvel environnement moins superficiel. Quant à Thomas, il voyage seul. Originaire de la Bretagne, il a été 1 an en Nouvelle-Zélande avant de venir en Tasmanie pour gagner de l’argent pour revoyager. Lorsqu’il a rencontré Robin et Thomas, il n’avait que 20$ en poche. Il a été pris en stop et leur a donné son plan pour la ferme. Thomas est vraiment l’aventurier par excellence. Il vit au jour le jour, se met dans des galères pas possibles mais il réussit toujours à s’en sortir en rencontrant des personnes extraordinaires. Il ne vit que par le voyage. Il compte en faire sa vie. Pour lui, les gens qui ne voyagent pas sont dans le faux et connaissent difficilement le bonheur. Il a d’ailleurs eu ce débat avec Jérôme : “Peut-on être heureux sans voyager ?”. Lui est convaincu que non alors que ceux qui pensaient “oui” lui démontraient d’autres manières d’être heureux. Tout le monde n’aime pas ou n’est pas prêt à voyager. Même si le voyage peut ouvrir les yeux sur notre manière de vivre, chacun a sa propre vision du bonheur. Je me demande d’ailleurs si Thomas ne voyage pas pour fuir notre société occidentale et tout ce qu’elle inculpe. Jérôme est breton également. Il a 26 ans et vient de Rennes. J’ai bien aimé discuter avec lui sur les nanas, le développement personnel, nos visions de la vie… j’avais l’impression qu’on était sur la même longueur d’onde. Une rivalité amicale a fini par se créer sur le terrain car il est mauvais perdant tout comme moi et ne joue jamais un match juste pour “participer”. Ce qui est mythique avec le foot, c’est qu’il permet de réunir plusieurs nationalités autour d’un ballon. Pas besoin de maîtriser la langue pour se faire comprendre par les autres. Italiens, chiliens, français et anglais se retrouvaient sur le terrain de tennis qui nous servaient de terrain de jeu.  On attaque notre 3ème jour dans la ferme de cerises. Levée aux aurores toujours difficile. Je prends mon ptit-déj en 5 minutes avant de traverser le champ qui nous séparent des cerisiers. Aujourd’hui, je vais tenter d’aller plus vite. Le problème c’est que je deviens moins vigileant sur la qualité et je finis par prendre 3 warnings synonyme d’exclusion pour la journée. Je finis donc à 12H30 avec 16 lugs. C’est dommage car j’étais parti pour atteindre les 20 lugs. Cette erreur va d’ailleurs me coûter cher car le lendemain, je vais être checker 10 fois dans la journée sur 18 lugs ! C’est énorme mais je passe cette fois-ci entre les mailles du filet. J’espère qu’ils vont enfin me laisser tranquille. Le 5ème jour sera très court. Voulant faire plus de lugs, je prends un maximum de risques et réussit à effectuer 4 lugs en 1H15. A ce rythme, je peux faire du 25 lugs par jour sauf que je ne vais pas tenir longtemps à ce rythme car le superviseur m’a pris pour cible. Il vérifie toutes mes lugs et je reçois 3 checks en une heure alors qu’on en reçoit normalement 3 par jour… Pas de chance, mes trois lugs ne sont pas assez belles. Je suis viré pour la journée. Je me sens à la fois soulagé d’en finir mais déçu de ne pas finir ma journée pour savoir combine de lugs j’aurais pu atteindre. Il est temps de chercher un autre job. Robin et Louis ont déjà prospecté et nous parlent d’une ferme de fraises pas loin d’ici où l’ambiance est bien meilleure. La fraise est pourtant un fruit mal réputé car elle est difficile à picker et ne rapporte pas beaucoup de sous. Cependant Louis et Robin nous expliquent que le job est facile. On décide de s’inscrire avec Théo et d’aller voir par nous-même, d’autant plus qu’on a 3 jours de congés dans les cerises et que la saison termine bientòt. Il est temps de quitter ce job pourri et d’aller voir ailleurs. Je dis “au revoir” à toutes les personnes que j’ai rencontré. Je ne le sais pas encore mais je vais en recroiser plusieurs sur la route…