Savio Farm – Apple Thinning :

On commence notre 1ère journée chez les Savio. Direction la ferme qui se trouve à 15 minutes du caravan park. On se perd en campagne durant le trajet car le GPS ne répond plus (pas de réseau) mais on finit par trouver notre chemin et on arrive avec 10 minutes de retard. Pas de panique, les fermiers n’ont pas l’air pressé. On se retrouve face à Mickaël, notre superviseur. Il nous emmène dans le champ de pomme et prend le temps de nous expliquer durant la matinée en quoi consiste notre travail. Les arbres sont remplis de pommes, on en trouve parfois des grappes. Il faut en enlever quelques unes afin qu’elles aient assez de place pour grossir et que les branches puissent supporter leur poids. Mickaël prend bien le temps de nous expliquer ce qu’il faut faire, ça change de chez Corado. Il y a des consignes différentes selon la variété des arbres mais le job reste simple physiquement, nos muscles ne sont pas mis à mal. Les backpackers sont par 2 dans une row (rangée) et font chacun un côté de la row. On doit utiliser une échelle pour atteindre le haut des pommiers. Elle est en aluminium, donc plus légère, ce qui nous aide pas mal par rapport aux échelles en fer qu’on avait chez Murphy. Il faut faire attention à ne pas les casser sinon nous devons
rembourser la ferme d’un montant de 400 dollars !

On n’est pas très efficace pour une première journée, mais le coup de main viendra au fil des jours. Le champ est immense et on ne voit pas le bout des rows. Il peut y avoir jusqu’à 300 arbres par row. Au-dessus de nous, un grand filet protège les arbres du vent. On a l’impression d’être enfermé dans une arène pour le coup. Nous sommes 6 pour cette première journée. L’équipe complète sera composée de 16 personnes : 3 allemands, 2 australiens, 2 hollandaises, une anglaise, 2 sud coréens, un italien, un estonien, un israélien et nous les 3 français. Un bon melting pot.

Les jours s’enchaînent et on va de plus en plus vite, réussissant à tenir l’objectif d’une row et demi par jour. Mickaël est plutôt sympa. Il n’est pas agressif quand il fait des remarques et on peut plaisanter avec lui. On finit même par se faire apprécier à force de blaguer avec lui. Les premiers jours passent assez vite.  Il est accompagné de son frère, Steven et sa sœur, Lisa, qui supervisent notre travail. Théo est mon partenaire de row pour ces premiers jours. On s’amuse à se lancer des pommes et on discute toute la journée. Mickaël finira par nous séparer et nous mettre aux extrémités afin d’être sûr qu’on ne puisse pas communiquer. Quant à Vincent, il déteste ce job. Il préfère les zucchinis, beaucoup plus douloureux pour le dos mais un peu moins ennuyant. On fait aussi plus d’heures (environ 9H) donc les journées sont plus longues. Il n’y a pas pourtant pas à se plaindre : on est dans l’une des seules fermes qui payent à l’heure. Le seul désavantage c’est que nous n’avons pas de day off, à part quand il pleut car ce n’est pas bon d’enlever les pommes alors que les arbres sont mouillés.

Après notre première semaine, la première paye arrive : 960 dollars avant taxes à 20,75$/h pour 6 jours de travail. On s’attendait à recevoir 200 dollars de plus. Je vais donc demander des explications à Mickaël. On n’a été payé que 4H sur les 9H effectués la première journée car il nous compte 5H de formation non payé pour nous expliquer les règles. Les trajets entre chaque champ (où on perd parfois 15 à 30 minutes) ne sont pas payés. De plus, il nous enlève 15 minutes de travail si on arrive en retard après la pause du midi. Plein de mauvaises surprises qui n’étaient pas marqués sur le contrat et qu’ils nous disent que maintenant. La paye reste correcte et maintenant que nous sommes prévenus, nous savons à quoi nous en tenir.

 

De toute manière, il nous reste plus qu’une semaine à tenir avant Noël. Le travail devient vraiment ennuyant et les journées de plus en plus longues mais on serre les dents. On obtient quelques day off avec la pluiemais le mauvais temps ne nous permet pas de les profiter comme on le souhaiterait.

Concernant le fonctionnement de la ferme, elle est tenue par les frères Jonnhy et Robert qui ont chacun leurs méthodes et leur équipe. La ferme de Robert est plus strict que celle de Jonnhy. Les employés ont plus la pression, les arbres sont plus difficiles et  ils doivent obligatoirement payer un logement dans la ferme (dans un état pittoresque) pour 120$/semaine. Prévu pour 5 personnes initialement, ils sont entassés à 8 dedans. Il y en a même un qui a posé sa tente dans le salon car il n’y avait pas assez de lits ! Bien sûr, il n’y a rien à faire autour de la ferme donc quand ils sortent du travail, ils fument et ils boivent des bières avec une vue sur les champs de pommes. Ce n’est pas le meilleur moyen de se déconnecter du travail… Heureusement, nous sommes dans la ferme de Jonnhy où l’atmosphère est bien meilleure. Pas besoin de payer un logement.

Après avoir pas mal parlé avec Mickaël, je vais pouvoir vous faire une petite biographie pour vous montrer à quel point la vie d’un fermier australien est fatigante, ennuyante et difficile.

La biographie de Mickaël :

Mickaël a 28 ans. Il a une femme et deux petites filles. Il est né à Stanthorpe et a vécu ici toute sa vie dans la ferme de son père Jonnhy qui a 4 enfants : Lisa qui est l’aînée, Jason, Mickaël et Steven le dernier. Dès l’âge de 7 ans, Mickaël aide ses parents à la ferme après l’école pour ramasser les pommes. Il est payé 10$ par bin (en comparaison, un backpacker est payé entre 30 et 40 dollars la bin). Il travaille parfois jusqu’à minuit pour un salaire d’esclave. Les seuls jours de congés qu’il obtient, c’est pour aller faire des matches de rugby avec son club.

En 28 ans, il n’a eu que 12 semaines de vacances, soit à peu près 3 jours par an. Il n’a donc pas beaucoup voyagé, juste une partie de l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Il s’est mis à fumer, la cigarette étant l’un des seuls plaisirs de sa journée pour évacuer la pression. Lorsqu’il a arrêté l’école, il travaillait 16 à 18H par jour dans la ferme. Levé dès 4H du matin, il pouvait finir à 23H-minuit. Pour palier le manque de sommeil, il faisait
des micro-siestes dans son tracteur puis il a finit par s’habituer au rythme. Quand on se plaignait, il nous disait souvent « Toi, tu ne connais pas le travail ».
Je comprends mieux maintenant… Dire qu’en France certains râlent pour les 35H alors que lui en fait plus de 100 par semaine.


Lorsqu’il était à l’école, son rêve était de devenir mécano ou électricien (des métiers très bien payés en Australie) mais ses parents n’ont pas voulu lui payer ses études. La pression familiale l’obligea à rester dans la ferme.
Finalement, ce n’est pas un héritage cette ferme, c’est un fardeau. Mickaël est « condamné » à rester dans la ferme pour la survie de sa famille. Il m’a dit qu’il a déjà péter un plomb. Il a fugué 3 fois mais il est toujours revenu contre son gré pour « raisons familiales » (il n’a pas voulu m’en dire plus). Maintenant qu’il a arrêté le rugby, ses journées ne sont consacrées qu’au travail. Son seul centre d’intérêt, c’est sa famille. Le fait de voir des nouvelles têtes doit sûrement lui faire du bien. Je comprends mieux maintenant pourquoi les fermiers traitent les backpackers comme des moins que rien. Ils ont un business à tenir et nous n’avons pas enduré un centième de leurs heures de travail.

Finalement, après avoir connu Mickaël, je me dis que c’est un mec bien et qu’il est plutôt tolérant avec nous par rapport à certains fermiers.

 Au passage, merci à papa et maman pour la vie occidentale que vous m’avez offerte. Merci de m’avoir laissé jouer au foot et de m’avoir donné la possibilité de faire les études dont j’avais envie. Merci de ne pas m’avoir contraint au travail forcé dès 7 ans après l’école et de m’avoir laissé jouer à la console et regarder mes dessins animés préférés à la télé. A côté de cette vie de fermier infernale, les heures passées à faire mes devoirs ne représentent plus un calvaire. C’est limite le paradis !

Voilà ce qu’il en ait pour notre ferme d’ « Apple Thinning ». Noël approche à grands pas, plus qu’une semaine. Pour fêter cet événement, on va sûrement aller à la plage du côté de Byron Bay. Ce sera plus original que de rester dans un champ de pomme, non ?